Nous avons déjà alerté nos lecteurs sur les difficultés de droit du travail posées par l’Article L611-7 du Code de la propriété intellectuelle (pour rappel, Article L611-7-1 CPI: Les inventions faites par le salarié dans l’exécution soit d’un contrat de travail comportant une mission inventive qui correspond à ses fonctions effectives, soit d’études et de recherches qui lui sont explicitement confiées, appartiennent à l’employeur. L’employeur informe le salarié auteur d’une telle invention lorsque cette dernière fait l’objet du dépôt d’une demande de titre de propriété industrielle et lors de la délivrance, le cas échéant, de ce titre. Les conditions dans lesquelles le salarié, auteur d’une invention appartenant à l’employeur, bénéficie d’une rémunération supplémentaire sont déterminées par les conventions collectives, les accords d’entreprise et les contrats individuels de travail). L’interprétation de cet article de loi n’est pas aisée et sa mise en œuvre dans l’entreprise est rarement totalement satisfaisante.
Dans le cas d’espèce, la société SKF, fameux fabricant de roulements, avait pourtant soigneusement développé,pour ses ingénieurs et autres salariés disposant d’une mission inventive, des règles de calcul de la rémunération supplémentaire obligatoire pour les salariés auteurs d’une invention dite de mission. Mais la Cour d’Appel de Paris ne valide pas les calculs de SKF pour la prime à verser à son salarié, Mr Wilson…
D’abord, la Cour examine la Convention collective applicable (celle de la métallurgie). C’est un bon réflexe, car l’Article L611-7 CPI s’y réfère comme source de détermination de la rémunération supplémentaire. Mais elle constate aussitôt que cette Convention ne donne aucune règle précise. Il semble que le contrat de travail de Mr Wilson ne soit pas plus source d’inspiration… Elle note enfin que le calcul des rémunérations supplémentaires de SKF est fondé sur des règles fixées unilatéralement par l’employeur, règles donc écartées par la Cour.
Finalement, les magistrats recouvrent une pleine liberté de fixation de la rémunération supplémentaire. Cette solution doit être approuvée et on regrettera les lacunes de la Convention collective tout autant que SKF doit regretter les lacunes de ses contrats de travail.
C’est dans la détermination des montants en jeu que l’on peut être surpris. Il y avait six inventions en discussion dont l’une est écartée car Mr Wilson n’apporte pas la preuve de sa qualité d’inventeur. Pour les cinq autres, des primes ont déjà été versées selon les formules internes de SKF. La Cour ne trouve pas les montants satisfaisants (on ne sait pas vraiment pourquoi) et les rehausse, mais on cherche encore sa logique :
– Pour une première invention, Mr Wilson, co-inventeur parmi quatre salariés, avait touché une prime de 776.61 € de SKF. Les magistrats de Paris y ajoutent 2500€, soit un total de 3276.61€ pour une participation à un quart d’une invention exploitée à hauteur de 1 579 319€ par SKF. Ce n’est pas si mal…mais pourquoi cette somme ? On ne le sait pas, mais cela représente tout de même 10% de la marge nette dégagée par cette innovation.
– Pour la deuxième invention, non exploitée, la Cour ajoute 500 € (pourquoi pas !) aux sommes déjà reçues par Mr Wilson qui obtient par là un total de 1530€ pour sa participation à cette innovation avec deux autres inventeurs.
– La troisième invention n’est pas plus exploitée. Elle est issue de Mr Wilson et d’un autre inventeur, mais la Cour complémente toujours la prime déjà reçue de … 500€, soit un total de 1767€ de rémunération supplémentaire dans ce cas. A peine plus que pour l’invention précédente à laquelle 3 inventeurs ont participé.
– Très proche du cas précédent, mais avec un co-inventeur de plus, on parvient pour la quatrième invention à 1566€ tout de même…en ajoutant toujours 500€ aux sommes déjà reçues ;
– Enfin, la cinquième invention semble la meilleure rentabilité pour Mr Wilson puisqu’il en tire un total de 2310 € (la Cour d’Appel ayant ajouté…500€) pour cette invention dont Mr Wilson a partagé le mérite avec deux autres inventeurs et dont l’exploitation a dégagé une marge nette de 15792€ pour SKF. Si SKF a le malheur de voir les autres inventeurs réclamer la même somme, cela lui coutera en tout près de 50% de la marge nette.
On notera l’enjeu financier au final bien modeste de ce contentieux : 4500€ de primes complémentaires allouées et 7500 € au titre de l’Article 700 du CPC. Mr Wilson ne risque pas de rouler sur l’or grâce à SKF une fois déduits les honoraires de son avocat !
La fixation des rémunérations supplémentaires n’est donc pas chose facile, et, si les montants alloués par la Cour d’appel ne sont pas satisfaisants, il faut bien reconnaitre qu’aucune règle claire n’est à sa disposition dans un tel cas. Il ressort qu’il est fortement souhaitable de fixer les règles de calcul dans un accord d’entreprise ou dans le contrat de travail dans chaque cas où la convention collective n’est pas pleinement satisfaisante sur ce point, c’est-à-dire toujours !