L’apparition, ces dernières années, des Non-Fongible Token (NFT) dans le domaine de l’art pose la question épineuse de l’application du droit de la propriété intellectuelle à ces œuvres d’un nouveau genre.
Les Non-Fongible Token – ou, en français, jetons non fongibles – sont des données stockées sur une plateforme sécurisée appelée chaîne de blocs ou blockchain. Dans l’application la plus connue du grand public des NFT, ces données codent pour un certificat de propriété unique attestant de la propriété d’une œuvre d’art numérique. Elles contiennent également toutes les informations relatives aux transactions dont a fait l’objet l’œuvre en question. Les NFT peuvent être acquis par l’intermédiaire de monnaies numériques telles que l’Ethereum ou l’Ada (jeton natif de la blockchain Cardano).
Les ventes de NFT affolent le monde de l’art, comme en attestent plusieurs exemples récents de transactions. La « Fillette au béret » de Picasso a par exemple été mise en vente par une banque suisse sous la forme de 4000 jetons NFT, pour un équivalent de 3,7 millions de dollars. Le NFT le plus cher de la courte histoire des NFT, The Merge, a lui été acquis par près de 30 000 acheteurs pour la somme de 91,8 millions de dollars. Face à l’engouement du public, le marché de l’art s’adapte. La maison Sotheby’s a par exemple créé en 2021 sa propre place de marché NFT : Sotheby’s Metaverse.
L’encadrement par le droit de la propriété intellectuelle – mais également par le droit fiscal – des NFT reste cependant très flou. La qualification même de ces objets est sujette à débat. L’article L112-2 CPI, listant de façon non exhaustive des œuvres de l’esprit au sens du Code de la Propriété Intellectuelle, ne mentionne par exemple pas les NFT. De plus, les processus de tokenisation et de crypto-monnayage (ou minting), entièrement informatisés, peuvent difficilement être considérés comme des processus créatifs portant l’empreinte de la personnalité de leur auteur. Par ailleurs, le NFT n’est qu’une connexion numérique permettant d’accéder à l’œuvre. L’œuvre numérique est, elle, fixée sur un support (fichier JPG, MP3…) enregistré sur la blockchain. Le NFT n’est donc qu’une clef d’accès au support.
Il semble donc que, par définition, un NFT en lui-même ne constitue ni une œuvre, ni son support, mais uniquement son titre de propriété.
Un acquéreur de NFT ne devient donc pas directement propriétaire de l’œuvre ni de son support, mais seulement du titre, soit un jeton numérique donnant accès à un fichier stocké dans la blockchain. Les NFT seraient ainsi un nouvel objet de droit. Cette indétermination est particulièrement problématique lorsque la « tokenisation » de l’œuvre a lieu après sa création et sa divulgation, comme c’est le cas par exemple pour « La Fillette au béret », et que les droits d’exploitation ont été préalablement cédés.
Ces considérations mènent à s’interroger : les NFT étant distincts des œuvres auxquelles ils donnent accès dans la blockchain – œuvres protégées par le droit d’auteur –, pourrait-on considérer qu’ils les contrefont ? Le téléchargement du fichier auquel le NFT donne accès pourrait en effet constituer un acte de reproduction tel que défini par l’article L122-3 du Code de la Propriété Intellectuelle. Par ailleurs, le fait de diffuser l’image ou le son de l’œuvre lors de la mise en vente du NFT sans l’autorisation de son auteur semble, de façon plus classique, condamnable au titre de l’article L122-4 CPI.
Ainsi, si la question des attributs patrimoniaux n’est pas traitée correctement, un NFT peut se trouver « associé » à une œuvre d’art, mais la protection par le droit d’auteur de cette même œuvre peut aller à l’encontre de l’existence de ce même NFT…
Pour cette raison, les transactions autour des NFT sont souvent encadrées par des smart contracts, contrats informatiques eux-mêmes codés dans une blockchain. Un contrat d’un tel type permet l’exécution automatique de clauses contractuelles si des conditions préalablement établies entre les parties sont remplies. Il peut notamment prévoir l’accompagnement du NFT par une licence NFT précisant si sa vente emporte cession de certains droits patrimoniaux (ex : licence d’utilisation à des fins commerciales ou non). Les smart contracts peuvent également permettre d’assurer une bonne mise en œuvre du droit de suite : il peut être prévu que l’auteur de l’œuvre reçoive, à chaque revente du NFT et de façon automatique, un pourcentage sur le montant de la transaction.
Un autre écueil se dresse sur le chemin de l’encadrement juridique des NFT : le Code de la Propriété Intellectuelle prévoit explicitement (article L331-1-4) que la partie lésée puisse demander la destruction des objets contrefaisants, or la blockchain est justement réputée pour être infalsifiable. Comment garantir alors l’application du droit ?
Il est à noter que certains observateurs distinguent deux types de NFT : ceux constituant uniquement un titre de propriété, ou support d’un droit, et ceux constituant l’œuvre en elle-même. L’existence de ces différentes visions juridiques des NFT montre à quel point le cadre légal de ces transactions est imprécis.
Le flou juridique grandissant autour des NFT amène de nombreux acteurs du marché à souhaiter une intervention du législateur pour clarifier la situation. Premier pas vers un éclaircissement : la loi PACTE du 22 mai 2019 a introduit la notion d’actif numérique, qui pourrait englober les NFT. Il est à noter que la Commission européenne a soumis une proposition de règlement sur les marchés de crypto-actifs (MiCA), cependant les questions relatives à la propriété intellectuelle ne semblent pour l’instant pas directement abordées.