Apparemment arrivé à maturité, le projet de loi dit PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) arrive en ce moment sur la table du conseil des ministres. Il contient des mesures cherchant à favoriser l’innovation, notamment via l’instauration d’une procédure de dépôt d’une demande de brevet provisoire.
Sur le principe, l’intérêt d’une telle demande serait de permettre un dépôt simple, rapide et à coût très faible, d’une première demande de brevet sur une invention, de sorte à faire le plus efficacement possible un premier pas dans un processus de brevetage de l’invention. Les ressorts de ce système seront une exigence de formalisme très faible et l’absence de redevances officielles. Le déposant disposera ensuite d’un délai d’un an, que l’on connait déjà, puisque c’est le droit de priorité, pour déposer une demande régulière, notamment une demande de brevet français classique.
Aux phobiques des procédures administratives, cette solution apparaitra séduisante au premier abord. Et elle parait suivre une tendance internationale en adoptant ce dépôt provisoire déjà connu notamment aux USA (mais avec un droit américain bien différent).
Mais gardons-nous d’un jugement positif trop hâtif…
D’abord, le niveau de redevances officielles pour une demande de brevet régulière (comme on la connait actuellement) est déjà très faible : pour une PME par exemple, la taxe de dépôt est de 18 € et la taxe de recherche préliminaire est de 260€, soit un total de 278 €; ce n’est pas très cher payé. D’autant plus que l’on peut même faire l’économie de la taxe de rapport de recherche en demandant un certificat d’utilité (donc coût de 18€ …) plutôt qu’un brevet. Ainsi, l’apport de compétitivité tarifaire de la demande provisoire est très relatif. Et l’économie se fait au détriment d’une prestation précieuse : l’établissement d’un rapport de recherche préliminaire officiel.
Ensuite, le niveau d’exigence formelle est déjà réduit depuis que la France a adhéré à l’accord dit PLT (pour Patent Law Treaty). Notamment, il est possible d’obtenir une date de dépôt sur une demande de brevet « normale » sans avoir rédigé de revendications.
On s’interroge donc un peu sur ce choc de simplification supposé, qui ajoutera in fine un corpus de dispositions légales peu utiles à un code de la propriété intellectuelle dont l’embonpoint n’avait pas vraiment besoin de cela.
Plus dangereusement, le principe de la demande provisoire pourrait faire penser- à tort- que la rigueur rédactionnelle de cette demande n’est pas importante. C’est malheureusement le discours officiel relayé par la presse ces derniers jours.
Certes, elle est destinée à être « transformée » en une demande de brevet régulière qui devra, elle, répondre aux conditions de forme classiques, dont la présence d’un jeu de revendications bien préparé, par un expert tel un Conseil en propriété industrielle. Mais cette demande seconde, régulière, devra être parfaitement fondée sur le contenu de la demande provisoire pour que le droit de priorité soit valable. Ainsi, une grande précaution devra en pratique être attachée au contenu de la demande provisoire, ce qui revient à la rédiger au plus proche des pratiques professionnelles habituelles.
Prenons l’exemple d’une PME ayant inventé une composition cosmétique innovante alliant, dans la version première de ses recherches, les composants A, B, C et D. Cette PME pourrait déposer une demande de brevet provisoire dans un premier temps et cibler cette composition par une rédaction simple, essentiellement technique sans recourir à son conseil en propriété industrielle. Puis elle déposerait une demande de brevet régulière, dans un délai d’un an, sous priorité de la demande provisoire. C’est alors que des difficultés pourraient survenir. La PME n’ayant pas analysé précisément la brevetabilité pour le dépôt de la demande provisoire, notamment suivant la méthodologie européenne d’approche problème solution, la demande provisoire décrit uniquement la combinaison ABCD. Malheureusement, il s’avère a posteriori que le composant D n’est pas nécessaire, voire avantageusement remplaçable par un composant E. Dans ces conditions, la demande seconde ne pourra bénéficier d’une priorité plus ambitieuse que sur ABCD et donc, ni sur ABC, ni sur ABCE. Le résultat peut être catastrophique, en particulier si l’invention a été divulguée après le dépôt provisoire.
Ce n’est ici qu’un exemple simple d’un piège procédural que constitue une première demande de brevet mal conçue.
Finalement, pour sécuriser le déposant, il faudra rédiger la demande de brevet provisoire comme une demande classique. Cela vide ce nouveau dispositif de tout intérêt dans une large majorité de situations. A notre avis, la demande provisoire ne sera utile que dans les cas, à éviter à tout prix, d’une urgence extrême s’imposant au déposant, par exemple à la veille d’une divulgation non anticipée.