L’évaluation financière d’un titre de propriété intellectuelle est un exercice délicat nécessitant de multiples compétences.
On notera que pour beaucoup d’entreprises innovantes et start-up, la valeur de l’entreprise est quasiment exclusivement contenue dans leur propriété intellectuelle. Ainsi, la décision pour un investisseur d’investir dans la start-up doit être particulière motivée.
Traditionnellement les entreprises se tournent vers leurs experts comptables et commissaires aux comptes ou vers des sociétés spécialisées pour réaliser ces évaluations financières.
Ces évaluations financières sont ainsi réalisées pour plusieurs milliers d’euros avec systématiquement une réserve comprenant sensiblement les termes suivants : « Nous n’avons pas réalisé d’audit juridique des titres évalués. Notre valorisation est donc basée sur la présomption que l’ensemble des titres sont valides ».
Autrement dit, l’évaluation se base exclusivement sur des données publiques, financières et/ou de marchés sans prise en compte de la valeur juridique. Ainsi, soit les titres sont valides et incontestables, et alors l’évaluation financière est bonne, soit les titres ne sont pas valides, et alors l’évaluation financière est réduite à 0€.
Cette vision binaire est à notre sens particulièrement hasardeuse pour un investisseur. La note ou valeur juridique d’un titre ne peut pas être réduite à 0 ou 1, et les idées reçues dans le domaine sont fortes. Prenons quelques exemples dans les domaines des brevets.
On notera qu’une analyse identique pour les marques peut être réalisée sur la base de leurs libellées par exemple.
Idée reçue n°1 : Le brevet est valide, la valeur juridique est maximale
La portée de protection d’un titre est donnée pour les brevets par ses revendications, pour une marque par son libellé de classe.
Prenons l’exemple fictif d’une start-up spécialisée dans l’automobile qui a mis au point un nouveau pare-brise de voiture, comprenant un microprocesseur et un projecteur permettant d’afficher des données directement dans le pare-brise.
En fonction de la rédaction des revendications, la portée de protection peut fortement varier.
Prenons l’exemple d’une revendication rédigé pour protéger précisément le produit de la société.
R1 : Système configuré pour projeter un itinéraire sur un pare-brise d’une voiture grâce à un microprocesseur et un projecteur intégrés dans le verre d’un pare-brise transparent à plus de 95%.
Dans cette illustration de rédaction de la revendication 1 (R1), les éléments suivants échappent à la protection littérale du brevet :
- Les informations autres que les itinéraires.
- Les véhicules autres que les voitures (navire, aéronef, motocycle, etc.)
- Les objets autres que les pare-brise (casques, lunette, miroirs)
- Les réalisations ne comprenant pas une intégration de l’ensemble de microprocesseurs et un projecteur dans le matériau (exemple uniquement l’un des deux).
- Des matériaux autres que le verre,
- Une transparence inférieure à 95%.
On remarque qu’avec cet exemple, certes le brevet protège le produit principal de la société, mais de nombreux produits annexes et variantes échappent au brevet. Ces éléments sont autant de marchés potentiels que la startup n’a pas su se réserver.
Un autre risque pour la startup dans cette rédaction de la revendication R1 est la réalisation de modifications de son produit. Par exemple, en cours d’exploitation, on se rend compte que l’utilisation d’un polymère transparent est bien plus efficace que le verre (meilleure rendue et moins chère).
Dans cette hypothèse, le produit de la startup n’est plus couvert par la revendication R1′ du brevet. Au final le brevet ne fait l’objet d’aucune exploitation par son titulaire.
Au contraire, si la revendication principale du brevet de cette société avait été rédigée dans les termes suivants, ce brevet aurait couvert tous les modes de réalisation précédents :
R1′ : Système configuré pour afficher au moins une information dans un matériau transparent, le système comprend au moins un microprocesseur et un projecteur.
Ainsi, la revendication R1’ rédigée dans ces termes bien plus génériques permet d’interdire les modes de réalisation mentionnée ci-dessus. L’entreprise qui détient le brevet aurait alors pu avoir un monopole pour ces produits ou générer des revenus financiers en proposant des licences à des tiers.
Logique que ce brevet comportant la revendication R1’ soit financièrement valorisé pour un montant bien plus élevé que le brevet comportant la revendication R1.
Une évaluation financière et audit complet de PI doive permettre d’attribuer une valeur différente aux brevets en fonction de la portée de protection de leurs revendications.
Bien entendu, la précision dans les revendications peut être nécessaire pour l’obtention du brevet (en fonction des antériorités et/ou des obligations de clarté).
Dans tous les cas, on comprend aisément que la valeur du brevet peut fortement varier en fonction de sa portée de protection (et donc de la manière dont il a été rédigé et dont l’examen a été conduit par le conseil en PI).
La vérification juridique de la portée de protection des titres avant l’investissement nous semble une obligation importante.
Encore une fois, les exemples ci-dessous sont des exemples dans le domaine des brevets. Une analyse identique peut être réalisée pour les marques.
Idée reçue n°2 : Les brevets sont délivrés, c’est qu’ils sont valident
Pour qu’un brevet soit valide, il faut qu’il respecte plusieurs conditions. Les deux conditions principales sont les conditions de nouveauté et d’activité inventive.
Lorsqu’un dépôt est réalisé auprès d’un office, ce dernier procède à un examen de la demande de brevet. Cet examen peut être :
- formel, c’est à dire uniquement porter sur la forme du brevet
- partiel, c’est-à-dire porter sur la forme du brevet et sur l’une des conditions de brevetabilité, typiquement, la nouveauté uniquement,
- complet, c’est-à-dire porter sur l’ensemble des conditions de brevetabilités et de la forme.
Dans certains pays, l’office délivre donc des brevets pour lesquels aucun examen ou uniquement un examen partiel n’est réalisé.
Ainsi un brevet délivré jouit d’une certaine présomption de validité, qui peut être faible ou élevée. Cette présomption n’est pas irréfragable et peut être remise en cause par un juge tout au long de la vie du brevet, ou par l’office lors d’une opposition.
À titre d’exemple, auprès de l’OEB qui procède à un examen complet de la demande de brevet, lors d’une opposition environ 1/3 des brevets sont annulés, 1/3 sont maintenus avec modifications des revendications et 1/3 sont maintenus sans modification.
En France par exemple, ce n’est que depuis très récemment (mi 2020) que l’INPI réalise un examen complet des demandes de brevets. La volonté politique derrière ce changement de pratique de l’INPI et justement d’améliorer la présomption de validité, et donc la valeur financière des brevets français.
Par conséquent, un brevet, même après sa délivrance, peut parfaitement être annulé par un office de brevet ou un tribunal.
Si au cours d’un audit, l’ingénieur brevet – conseil en PI arrive à la conclusion que le brevet est invalide, sa valeur financière doit alors être réduite à néant ou très fortement minorée.
Ainsi, il est très fortement recommandé de faire réaliser ces valorisations avec le support d’un conseil en propriété industrielle (CPI). Cela vous permettra d’avoir une meilleure connaissance de l’actif immatériel dans lequel vous investissez, de l’état des procédures et des évolutions probables de ces dernières.