Le recours à une procédure orale n’est pas une étape systématique devant l’Office Européen des Brevets, pour le traitement des dossiers de brevets. Cependant, c’est une phase importante lorsqu’elle est mise en œuvre, car elle est souvent décisive quant au sort de la demande de brevet ou du brevet. L’Office Européen des Brevets a développé depuis plusieurs années des projets de modernisation des procédures orales, en exploitant les moyens de communication numériques, dorénavant à disposition de tous les utilisateurs du système des brevets. Voici un aperçu de la situation actuelle pour la pratique de l’Office Européen des Brevets en matière de procédure orale.
Quelques rappels sur les procédures orales
Le recours à la procédure orale est prévu par la Convention sur le Brevet Européen, en son article 116. Ce dernier dispose :
Procédure orale
(1) Il est recouru à la procédure orale soit d’office lorsque l’Office européen des brevets le juge utile, soit sur requête d’une partie à la procédure. Toutefois, l’Office européen des brevets peut rejeter une requête tendant à recourir à nouveau à la procédure orale devant la même instance pour autant que les parties ainsi que les faits de la cause soient les mêmes.
(2) Toutefois, il n’est recouru, sur requête du demandeur, à la procédure orale devant la section de dépôt que lorsque celle-ci le juge utile ou lorsqu’elle envisage de rejeter la demande de brevet européen.
(3) La procédure orale devant la section de dépôt, les divisions d’examen et la division juridique n’est pas publique.
(4) La procédure orale, y compris le prononcé de la décision, est publique devant les chambres de recours et la Grande Chambre de recours après la publication de la demande de brevet européen ainsi que devant les divisions d’opposition, sauf décision contraire de l’instance saisie, au cas où la publicité pourrait présenter, notamment pour une partie à la procédure, des inconvénients graves et injustifiés.
https://www.epo.org/law-practice/legal-texts/html/epc/2016/f/ar116.html
En examen, l’écrasante majorité des cas de procédures orales concerne des procédures devant la division d’examen pour lesquels le demandeur ne parvient pas, par écrit, à convaincre la division d’examen de l’admissibilité de la demande de brevet. La procédure orale peut alors être déclenchée par la division d’examen pour chercher à avancer le dossier, ou pour donner une dernière possibilité d’expression au demandeur avant une décision de rejet.
Le demandeur du brevet peut aussi demander une procédure orale, ce qui ne peut lui être refusé, pour plaider ses arguments. C’est d’ailleurs une sage précaution que de demander la tenue d’une procédure orale par défaut, dans les dossiers pour lesquels la délivrance n’est pas acquise.
Autant la procédure orale est plutôt une mesure d’exception en examen, ne concernant que les cas difficiles, autant elle apparaît plus systématiquement en opposition. Rappelons que la procédure d’opposition, prévue à l’article 99 CBE, permet à tout tiers de contester le brevet européen de manière centrale, auprès de l’OEB. Après une phase écrite, la plupart des oppositions comprennent une procédure orale.
L’organisation européenne des brevets comprend des chambres de recours, formant des instances d’appel des décisions des divisions d’examen et des divisions d’opposition. Des procédures orales peuvent également être tenues devant une chambre de recours.
Dans la plupart des procédures orales, une décision est prise immédiatement et confirmée par écrit par les instances de l’OEB concerné. Cela souligne le poids de cette procédure.
Pratique historique
Pour la préparation des procédures orales, l’Office Européen des Brevets a une approche traditionnellement basée sur les outils de communication qui existaient à l’époque de l’entrée en vigueur du brevet européen, en 1978. En particulier, il utilise le courrier postal pour les phases les plus en amont du jour de la procédure orale, puis l’envoi par télécopie dans les cas d’urgence. Cela arrive fréquemment, notamment lorsque les parties déposent tardivement des documents ou que la procédure est annulée.
L’approche traditionnelle de la tenue des procédures orales est présentielle. Les parties sont invitées à se présenter à l’implantation concernée de l’OEB, généralement au siège munichois ou au bureau de La Haye, devant la division d’examen ou d’opposition ou la chambre de recours compétente, généralement formée de trois membres. Le traitement du dossier est séquentiel : les sujets à discuter (par exemple la nouveauté, l’activité inventive, l’admissibilité de modifications, …) sont évoqués tour à tour, avec des interruptions pour laisser à l’instance de l’OEB la possibilité de prendre une décision partielle sur chaque sujet. La plupart du temps, une procédure orale s’inscrit dans une fenêtre de temps comprise entre une demi-journée et une journée complète.
Modernisation engagée
On comprend de ce qui précède que les procédures orales sont relativement lourdes, aussi bien pour l’organisation administrative par l’OEB, que pour l’investissement en ressources (temps et déplacement) des parties en présence, et notamment le demandeur d’un brevet.
Dans ce contexte, l’Office Européen des Brevets a engagé des réformes qui pourraient simplifier une majorité des procédures.
Sur le plan des communications avant la procédure orale, l’Office Européen des Brevets conduit actuellement un projet pilote permettant de remplacer les notifications en télécopie par des envois par e-mail. Toutes les directions d’examen de l’Office Européen des Brevets ne sont pas encore concernées par ce projet et il reste sur la base du volontariat pour les déposants. D’une manière générale, il est évident que le passage à la communication électronique devrait permettre une plus grande réactivité et une plus grande fluidité des échanges.
De manière plus importante, c’est le recours à la vidéoconférence pour les procédures orales elles-mêmes qui s’avère être le changement récent le plus significatif.
La mise en place de vidéoconférences n’est pas particulièrement nouvelle, mais est appelée à être beaucoup plus systématique. Devant une division d’examen, c’est dorénavant la règle. Devant une division d’opposition, la possibilité d’une vidéoconférence est offerte au breveté et à l’opposant, et leur accord conjoint est requis.
D’un point de vue informatique, pour les cas les plus simples, en particulier en examen, l’Office Européen des Brevets met à disposition des outils en ligne de type Microsoft Skype. Dans les cas techniquement plus complexes (intervention d’interprètes et/ou oppositions), c’est dorénavant plutôt la plateforme Zoom qui sera employée.
Notre retour d’expérience sur ces nouvelles pratiques
Nous avons pu constater une bonne fluidité des échanges lors de procédures orales devant la division d’examen par vidéoconférence. L’Office Européen des Brevets anticipe la préparation de ces conférences par des tests techniques qui assurent, le jour dit, que la procédure n’est pas polluée par des difficultés techniques trop importantes. Cela n’empêche évidemment pas la survenance de quelques petits aléas de son ou d’image.
La présentation des arguments est certainement un peu moins fluide qu’en présentiel, mais s’avère malgré tout de bonne qualité, étant entendu que les procédures orales devant la division d’examen s’opèrent généralement avec des phases alternées assez longue d’expression orale, non interrompues par d’éventuelles interventions ponctuelles d’une autre partie à la procédure, comme cela peut éventuellement intervenir plus fréquemment en opposition.
Un aspect intéressant de la vidéoconférence est que le mandataire européen a, à sa disposition, tous ses outils de travail : ordinateur, dossier physique, documents électroniques d’antériorités et de demandes de brevet, etc. Il est bien plus difficile de transporter tout ce matériel lors de procédure orale physique aux Pays-Bas ou en Allemagne, et de les utiliser dans les locaux de l’OEB.
En opposition, il est clair que la présence de trois groupes d’intervenants (la division d’opposition, le breveté et l’opposant) complique la vidéoconférence. C’est d’autant plus pénalisant lorsqu’une interprétation est demandée (par exemple de l’allemand vers le français). Les échanges pourraient alors s’avérer plus complexes.
Il est aussi certain que dans les cas les plus importants, la présence physique permet de mieux saisir le ressenti des membres de l’OEB ou de l’adversaire en opposition.
Conclusion
La capacité à recourir à la vidéoconférence pour les procédures orales est une bonne nouvelle car elle offre une flexibilité supplémentaire dans l’organisation des procédures pour les utilisateurs du système du brevet européen, et en particulier pour les déposants.
Sans doute est-il sage de préserver les procédures orales physiques pour les cas les plus complexes, notamment en opposition ou en recours.
En examen, pour les cas classiques, la vidéoconférence nous semble offrir plus d’avantages que d’inconvénients.
Même sous forme de vidéoconférences, les procédures orales restent des phases de travail particulièrement chronophages pour les mandataires européens, le dossier devant être soigneusement préparé. Au surplus, il est très fréquent que des requêtes auxiliaires soient rédigées. Et le contenu du dossier doit être parfaitement maîtrisé car les échanges sont très dynamiques avec les membres de l’OEB et l’éventuel opposant. Par exemple, il faut être en mesure, en quelques secondes, de justifier un argument par référence à un passage d’un document. Ainsi, la procédure orale restera une phase lourde de la procédure.
Cependant, le temps de trajet et frais de déplacement économisés pourraient constituer des éléments suffisants pour justifier d’une plus grande utilisation de ce type de procédure. Par exemple, la division d’examen pourrait avoir moins de réticences à déclencher une procédure orale. Il sera donc intéressant de suivre les statistiques de l’OEB dans les prochains mois.